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Il s’agit, pour résumer, de faciliter la vie quotidienne des citoyens, de concilier « la ville qui travaille, la ville qui dort et la ville qui s’amuse »

(Luc Gwiazdzinski)


« nos nouvelles frontières sont désormais liées à l’emploi du temps plutôt qu’à l’emploi de l’espace ».

(Paul Virilio)

 

Lectures / Colloques

 
  Manhattan

 

 

Manhattan. La fabuleuse histoire de New York, des Indiens à l'an 2000. Anka Muhlstein, éditions grasset. 1986.

 
  • Sommaire

Chapitre I : Castor Dindon et Shnaps

Chapitre II : Les Affres de la Croissance

Chapitre III : Révolution, Retournements et Reprise des Affaires

Chapitre IV : La course et la Victoire

Chapitre V : Une Métropole à l’Américaine

Chapitre VI : Les Étrangers chez Eux

Chapitre VII : La Machine Politique

Chapitre VIII : Quatre Kilomètres à l'Heure, à Pied, à Cheval ou en Voiture

Chapitre IX : Ancrages

Chapitre X : Harlem

Chapitre XI : La Loi du Gang

Chapitre XII : Le Refuge des Hommes Illustres

Chapitre XII : New York au bout de ma Rue

  • Chapitre I : Castor Dindon et Shnaps

p.32-33

Cette première période met en lumière deux caractéristiques de la ville, qui toutes deux dérivent de la suprématie absolue du commerce. D'abord une volonté évidente, de la part de cette population cosmopolite et disparate, de vivre et de travailler ensemble, volonté qui se traduit par un vif attachement à la liberté de conscience et par le sentiment très net que l'intolérance religieuse interdirait l'éclosion du succès commercial. Cette ville ouverte sur la mer, accueillante, a bien appris la leçon de ses maîtres hollandais : " L'arche de Noé, c'est la tolérance obligatoire " Un exemple illustre cette attitude, le premier bâtiment à servir de lieu de culte était mis à la disposition de la congrégation des Dutch Reformed le matin, des huguenots à midi, et des anglicans à la fin de la journée. Un peu plus tard, la première église luthérienne fut construite grâce à des fonds juifs. Cette minuscule colonie reflète donc bien l'atmosphère des grandes villes-marchés du monde. Venise, par exemple, où " chacun vit à sa fantaisie et en liberté de conscience ", ou Londres, où la mosaïque religieuse est telle qu'un voyageur français s'étonne d'y voir cohabiter paisiblement " des juifs, des protestants allemands, hollandais, suédois, danois, des luthériens, des anabaptistes, etc., etc. ".
Ensuite, la domination du commerce exige la subordination de la politique à l'intérêt des marchands. Ce qui compte, ce n'est pas l'État en soi, mais le négoce, et les habitants de la Nouvelle-Hollande le prouvent en acceptant avec une aisance déconcertante de passer sous l'autorité de la Grande-Bretagne. Il n'y a pas trace d'héroïsme chez ces marchands, aucune passion nationale, aucun attachement à la patrie. Ils se remettent de leurs émotions en songeant que les affaires vont reprendre et la suite de l'Histoire leur donnera raison. Pour les marchands de la Nouvelle-Amsterdam, comme pour ceux des Provinces-Unies, l'intérêt du commerce vaut raison d'État.

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  • Chapitre II : Les Affres de la Croissance

p.45

Cette ville, tout entière dominée par le commerce, ignorait les préjugés nationaux ou religieux. La conscience de classe existait, mais la classe étant définie par les revenus, et non par la naissance, elle s’ouvrait à qui prouvait son talent ; ni les huguenots, ni les juifs, ni les Irlandais, ni les Allemands ne se heurtèrent alors aux générations malveillantes qui rendront l’existence si rude aux immigrants du XIXe siècle. La meilleure preuve de cette réelle entente entre différents clans, ce sont les mariages contractés à cette époque.


p.49

Si elle n’avait guère de préoccupations purement intellectuelles, cette aristocratie marchande aimait les objets, l’argenterie, les meubles, les bijoux. Il régnait à New York une ostentation très caractéristique de la ville. À Boston ou à Philadelphie, il était et il est toujours du meilleur goût de ne pas faire étalage de ses richesses. New York n’a jamais eu ces délicatesses et c’est une des raisons qui expliquent son attrait. New York fut la première ville coloniale à avoir de véritables magasins de meubles, de tableaux et surtout de mode. […] Ailleurs, les boutiques vendaient de l’utile ; à New York, on proposait le rêve. Autre spécialité new-yorkaise, le théâtre, distraction honnie en terre puritaine. La première de Shakespeare en Amérique, une représentation de Roméo et Juliette, fut donné en ville en 1730.

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  • Chapitre III : Révolution, Retournements et Reprise des Affaires

p.64-65

Autre caractéristique héritée des temps hollandais, la suprématie absolue du commercial sur le politique. Il ne fallut pas un an aux anciens adversaires pour se réconcilier et se consacrer ensemble aux affaires… La rapidité du retour à la vie publique des anciens loyalistes illustre l’absence de passion idéologique. New York n’a jamais été une ville à principes.
[…] Ainsi, un Tory (conservateur anglophile) se retrouva-t-il président de la chambre de commerce et y collabora, sans l’ombre d’une difficulté, avec son vice-président, un des patriotes les plus virulents de la guerre d’Indépendance, entouré de collègues indifféremment juifs, allemands, quakers, hollandais, “vieux“ New-Yorkais ou nouveaux venus de Nouvelle-Angleterre. Cette diversité du groupe dominant reflétait la composition de la ville.
À la reprise de l’activité commerciale, se superposa un grand mouvement de population. La ville ne grandissait pas, elle explosait. Vingt mille habitants en 1783, plus de trente-trois mille en 1790. New York dépassait maintenant Philadelphie, jusque-là championne de la poussée démographique. La courbe s’accéléra et, dix ans plus tard, en 1800, on recensait soixante mille habitants à New York. La ville ne dépasse plus les autres agglomérations américaines, elle les écrase.[…] Les paris sont ouverts et les New-Yorkais enhardis affirment qu’ils seront plus de trois millions en 1890. À titre de comparaison, Londres et Paris avaient respectivement, à la même époque, un million et cinq cent mille habitants.


p.72

La configuration de l’île, qui permettait une progression presque infinie des quais, allait constituer un gros avantage dans l’avenir.

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  • Chapitre IV : La course et la Victoire

p.85

En 1830, New York se détache donc du peloton et devient la plus grande ville américaine en termes de population, de richesse et d’activité. New York, écrivait Walt Whitman, de par “son incessante animation“ est capable “d’abattre sans arrêt de nouveaux atouts“.
A en juger par le nombre prodigieux d’immigrants qui y débarquèrent, New York devait être la ville la plus attirante du monde. Mais comment fit-elle pour accueillir ces multitudes de riches et de pauvres en l’absence de toute vraie structure urbaine ? New York, malgré son succès commercial, n’était en 1830 qu’une agglomération assez rudimentaire, sans monuments, sans ordonnance, sans pouvoir municipal susceptible d’imposer un véritable plan d’urbanisme, et, pour compliquer encore les choses, soumise aux restrictions d’une île étroite.


p.86-87

Classiquement on fait commencer l’histoire de l’immigration aux Etats-Unis en 1830. Avant cette date, les arrivées ne comptaient jamais plus de trois à quatre mille personnes par an et, durant les années qui suivirent l’indépendance, les mouvements à l’intérieur de la Fédération furent plus importants que les arrivées en provenance d’Europe. En 1830, quatorze mille personnes débarquèrent. Cinq ans plus tard, trente-deux mille arrivèrent, soit plus du double. La courbe continua de s’envoler et, en 1860, il fallut recevoir deux cent douze mille immigrants. Au début du siècle, sept cent cinquante mille personnes, certaines années, poseront le pied sur Manhattan. En fait, la ville reflétait les événements marquants du monde extérieur. Que la révolution industrielle ruinât les populations rurales de l’Allemagne, que la pourriture dévastât les champs de pomme de terre en Irlande, que le tsar aggravât la répression antisémite, tôt ou tard, selon les aléas du voyage, le visage de New York en était transformé. Et cela demeure vrai.
Les statistiques sont révélatrices, New York a reçu les trois quarts de tous les immigrants venus aux Etats-Unis pendant le XIXe siècle […] ces nouveaux venus ne restaient pas tous à New York, mails ils le faisaient en assez grand nombre pour que, au milieu du siècle, en 1855, cinquante et un pour cent des New-Yorkais fussent nés à l’étranger.
Il est important d’avoir en tête le débit et la constance du flot pour comprendre les problèmes particuliers à New York. Les nouveaux venus ont toujours constitué une masse vulnérable, corvéable à merci, incapable dans la plupart des cas de retourner au pays, proie toute désignée de tous les exploiteurs.

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  • Chapitre V : Une Métropole à l’Américaine

p.95

De plus, les bords de l’East River étaient trop encombrés d’animaux pour être accueillants aux hommes. […] Le tout dégageait une odeur pestilentielle. Il n’y avait pas que les vaches. Tous les chevaux de la ville — plus de quarante mille aux environs de 1840 — étaient logés dans des écuries le long des rues transversales entre les quais, la Première et la Deuxième Avenue.

 

p.100-101

L’ascenseur remporta la bataille. Il était dégradant d’escalader un escalier commun, mais emprunter un ascenseur, quelle aventure honorable ! Tout d’un coup, les étages élevés devenaient aussi désirables, sinon plus, que les premiers et les entresols. Jusque-là une personne convenable considérait que grimper plus de quatre étages portait atteinte à sa dignité. Soudain un huitième apparaissait comme une consécration. Les propriétaires entrevoyaient des bénéfices accrus. Ils se mirent à construire plus haut dès 1859, date de l’installation du premier ascenseur dans un immeuble résidentiel.
Ce désagrément était cependant compensé par une étonnante abondance de services communs, qui fut le deuxième élément de succès de ce type d’habitation.

p.102

Il est difficile d’imaginer aujourd’hui, devant la monotonie des immeubles d’habitation de la ville, l’originalité des premiers spécimens. D’abord ils avaient tous un nom. Qu’est-ce que Victor Hugo, Abélard, Sémiramis, Marc Aurèle, Rembrandt, le Parthénon et un gendarme ont en commun ? Leur nom au fronton d’un immeuble de Manhattan. Ensuite, leurs habitants leur donnaient un style particulier. Ainsi ont-ils souvent eu des destinées différentes.

p.109

Donner son adresse, c’était présenter à la fois ses papiers d’identité et son compte en banque. Dans un roman de Henry James, Washington Square, un père de famille utilise le plan de New York pour peser la situation mondaine du prétendant de sa fille. Le malheureux habite Seconde Avenue. "La seconde Avenue, dites-vous. " Il prit note de la Seconde Avenue. Cela suffisait. Il n’y avait pas besoin d’autres renseignements. Le jeune homme n ‘épouserait pas sa fille. Peu surprenant que les gens déménageassent souvent. En Europe c’est le titre ou l’ancienneté de la famille qui enchantait le snob. L’adresse ne comptait pas. À New York, au contraire, une " bonne adresse " vous ouvrait bien des portes. Toute amélioration dans leur situation poussait donc les gens à renforcer leurs progrès en changeant de domicile.

p.110-111

Je donne là un exemple contemporain mais ce phénomène a été constant à New York et il explique les collusions perpétuelles entre le somptueux et le sordide. Les frontières entre le monde des privilégiés et celui des déshérités ont toujours été mouvantes et aveuglantes de clarté, et les contrastes plus choquants encore au XIXe siècle dans la mesure où les logements d’ouvriers étaient si malsains. Tant que l’absence de ponts et la cherté des transports en commun enchaînèrent les ouvriers de l’île, il n’y eut aucun amélioration dans leur vie quotidienne sinon l’éclatante exception de Central Park.
Dans ce siècle si avide, si pressé de faire fortune, le Park fut la seule réalisation urbaine, qui mit tout le monde d’accord : réformateurs, libéraux paternalistes, spéculateurs, riches et pauvres.

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  • Chapitre VI : Les Étrangers chez Eux

p.115

Henry James s’étonnait, lors de ses promenades dans les quartiers d’immigrés, de ce que tous ces étrangers donnassent tellement l’impression d’être installés. " Aussi étrangers qu’ils puissent être, ils étaient chez eux, plus à l’aise au bout de quelques semaines, de quelques mois, ou de leur première ou deuxième année, qu’ils ne l’avaient jamais été de leur vie. "
Le grand romancier réaliste, William Howells, décrivant une longue quête d’un ménage venu de Boston à la recherche d’un appartement convenable, dépeint sa réaction à la traversée d’une rue qui aurait pu se trouver à Naples ou à Palerme Elle leur paraît d’une pauvreté abjecte et pourtant, fait constater le mari à son épouse apitoyée : " Je dois dire que cela n’a pas l’air de les gêner. Je n’ai jamais vu à New York de foule plus enjouée […] J’imagine qu’ils nous croient riches et qu’ils nous détestent, si toutefois ils détestent les riches ; ils n’ont l’air de détester personne. "
Ils pouvaient conserver leur culture et leur langue, envoyer leurs enfants dans les écoles de leur choix, aller à la synagogue ou à l’église. Personne ne s’en souciait. On les laissait en paix.

p.116

New York n’est pas, et n’a jamais été, une ville de grosses industries. C’est avant tout un marché. Vendre au-dessus du prix d’achat, acquérir au plus bas, telle avait été, depuis les jours du troc avec les Indiens, l’occupation des habitants.

p.117

Des milliers d’ouvriers travaillaient dans de grands espaces s’étendant sur tout un étage d’un immeuble industriel et qui, de nos jours, sous le nom de lofts, font le bonheur des peintres, de sculpteurs, de photographes et de jeunes bourgeois aventureux.
Si on débarquait à Chicago, à Détroit ou à Pittsburgh, la capitale de l’acier, on allait droit à l’usine, tandis qu’à New York on appréciait les ouvriers spécialisés, les artisans.


p.125

Le deuxième facteur qui expliquait l’attachement des étrangers à la ville et l’aisance de leur intégration était la découverte de la tolérance. New York était clémente aux juifs qui fuyaient les pogroms, la discrimination, les humiliations de toutes sortes, hospitalière aux irlandais catholiques dont la religion avait été proscrite par les Penal Laws au XVIIIe siècle et que l’on désignait sous le nom d’ " ennemis communs " au Parlement de Dublin comme à toutes les victimes de la violence et du sectarisme dans d’autres parties des Etats-Unis. Les Chinois, par exemple, dont la vie avait été infernale sur la côte ouest.

p.127

New York avait quelque chose de favorable à la double nationalité, à la double culture. On pouvait demeurer complètement isolé dans son propre milieu — et bien des immigrants adultes, surtout lorsqu’ils travaillaient dans de petites entités nationales, ne s’américanisaient pas vite —, choisir sa lecture parmi le millier de journaux publiés en langue étrangère à New York en 1850, aller au théâtre voir un spectacle national, dans un restaurant où tout, du patron au menu en passant par le garçon, vous rappelait le vieux pays.

p.129

Certes, New York n’a jamais été une ville paisible. Comment le serait-elle avec des millions d’étrangers représentant des races et des croyances si diverses, mais c’est une ville tolérante par nécessité : " faute de quoi, elle exploserait dans un nuage radioactif de haine, de rancœur et de fanatisme ". New York fut sauvé de la violence raciale par l’hétérogénéité de sa population. Aucune unité de vues ne soudait la communauté. Or, la cruauté se provoque plus aisément lorsqu’un groupe provoque l’ire de tous les autres. Ensuite New York n’était pas une ville industrielle, toujours plus propice au racisme et à la xénophobie dans la mesure où les différents groupes ethniques sont en concurrence économique directe les uns avec les autres et que, traditionnellement, on emploie les derniers venus comme briseurs de grève. Au contraire, à Manhattan, l’embauche se faisait sur un plan individuel, et comme chaque nationalité avait son secteur, le problème se posait avec moins d’acuité. Enfin, l’exiguïté du territoire en obligeant tous ces gens à vivre les uns sur les autres contribua paradoxalement à adoucir les rapports humains. Il n’y avait pas de place sur l’île pour la constitution de quartiers nationaux impénétrables. La répartition se faisait davantage selon la date de l’arrivée que selon la nationalité.

p.131

En 1911, soixante-sept pour cent des enfants des écoles primaires allaient au cinéma au moins une fois par semaine, et seize pour cent d’entre eux avouaient s’y rendre une fois par jour.

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  • Chapitre VII : La Machine Politique

p.138

[…] ils oublièrent la vie municipale, si salissante aux doigts, et New York « devint la première grande ville de l’histoire à être dirigée par les hommes du peuple […] selon un schéma constant et établi. Jusqu’à nos jours, les hommes qui sont à la tête de New York ont toujours le mégot à la lèvre.

 

p.141

Il est difficile de mesurer le volume des services rendus par les clubs puisque aucun registre, aucune trace écrite n’en subsiste. Mais l’on sait que le club fonctionnait comme une immense agence de placement, aussi efficace pour le public que pour le privé. On demandait, donc au boss avant tout du travail. S’il le jugeait nécessaire, le patron avançait de l’argent pour le loyer ou la nourriture. On pouvait aussi lui exposer son affaire, quel que fût le problème. Le boss comprenait la vie et la comprenait à demi-mot. Si besoin était, il adressait son visiteur au comité juridique, institution de la plus grande utilité. Chaque club avait un groupe d’avocats qui défendaient gratuitement tous ceux qui avaient besoin de leur aide. Une faveur particulièrement appréciée consistait à représenter un accusé au tribunal. La plupart des immigrants s’exprimaient mal, ne saisissaient pas les différentes réglementations et étaient incapables de se défendre. Faire sauter une contravention, obtenir le permis indispensable pour pousser sa voiture de quatre-saisons, demander une dérogation, inscrire un enfant à l’école ou le faire partir en colonie de vacances, tous ces casse-tête se trouvaient pris en charge par le club en soulagement intense du pauvre bougre. Parfois le problème se faisait plus délicat : obtenir, par exemple, qu’un policier fermât les yeux, régulièrement, tous les dimanches, lorsqu’un juif qui ne pouvait pas travailler le samedi sans transgresser la loi, ouvrait sa boutique le lendemain, au mépris des réglementations de la ville. Le boss n’était pas raciste. Le jour de l’élection, la voix du juif ou de l’italien compterait autant que celle de l’irlandais. En conséquence, il parvenait à maintenir en équilibre les différentes ethnies de son quartier, à apaiser les querelles qui éclataient entre groupes si différents. Il ne pouvait pas se permettre de se faire des adversaires des habitants de blocs entiers et, à l’échelle locale, les hommes politiques les plus populaires étaient ceux qui savaient franchir avec naturel les lignes de démarcation raciales. En aplanissant ainsi les conflits potentiels, en ne refusant leur aide à personne, le boss et ses hommes faisaient beaucoup pour apprendre aux différentes minorités non seulement à se supporter mais encore à se connaître.


p.143

Et, malgré le gâchis incroyable d’un système fondé sur le favoritisme et la corruption, l’on peut se demander si une méthode plus rigide, plus rationnelle, plus exigeante sur la qualité, n’aurait pas nécessairement exclu de la vie urbaine la majorité des immigrants.


p.147

Et puis, la vaste majorité des New-Yorkais ne s’intéressaient pas à la politique. Les uns étaient découragés et dégoûtés par les mœurs en usage, les autres trop occupés à s’enrichir pour s’inquiéter des affaires publiques. La plus grande partie de la population était trop récente pour se sentir responsable du bien-être général. En outre, dans une société où le succès individuel se mesurait au gain financier, les questions de moralité gouvernementale laissaient le public indifférent. L’éthique n’est pas une spécialité new-yorkaise.

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  • Chapitre VIII : Quatre kilomètres à l’heure, à pied, à cheval ou en voiture


p.159

La popularité du El (métro aérien) fut énorme, non seulement en raison de son efficacité, mais parce qu’il offrait une vue étonnante sur la ville, et des aperçus fugaces et indiscrets sur la vie des habitants, des maisons avoisinantes. « C’est mieux que le théâtre, fait dire William Howells à son héros Basil March, […] que de voir tous ces gens par leurs fenêtres […] Quelle force de suggestion ! quel drame ! quel intérêt infini ! »

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  • Chapitre IX : Ancrages


p.165-166

C’est en 1898 que la nécessité de rationaliser l’organisation du port, de développer plus facilement le réseau de communications, et le sentiment que l’unification administrative de la région serait profitable, amenèrent l’intégration de la ville : la fusion de New York, jusque-là tout entière située sur l’île de Manhattan, avec le Bronx, le Queens, Staten Island et Brooklyn.
[…] New York devenait la deuxième ville du monde après Londres.
Pour le monde entier, comme pour les habitants de la région, New York — The City — c’était Manhattan. L’intégration n’amena pas de changements spectaculaires en ce qui concernait la population de l’île. Elle atteignit son chiffre record en 1910 — plus de deux millions trois cent mille habitants — puis elle diminua régulièrement jusqu’en 1982, date à laquelle elle regagnera trente mille habitants. Les autres boroughs, sortes de faubourgs, lui serviront de dortoirs et enfleront prodigieusement.
Les fabriques et les manufactures se transportèrent en nombre vers les espaces ouverts du Bronx ou de Queens. En revanche, tout ce qui avait trait aux affaires, à la banque, aux assurances, à la presse, à l’édition et à la mode se concentra plus que jamais dans les rues étroites de Manhattan. Toutes ces activités avaient en commun le besoin de puiser à des sources d’information rapides et variées, d’avoir accès sans retard à des spécialistes de premier ordre — avocats, comptables, ingénieurs ou professeurs —, de contacter aisément leurs clients. Le perfectionnement du téléphone et, plus récemment, la généralisation de l’ordinateur changeront les données du problème et permettront une dissémination plus grande des bureaux dans la ville et sa région. Mais au cours de la période précédente, on ne pouvait mener à bien ses affaires à New York si on ne se trouvait pas à proximité du port et de la Bourse, bref autour de Wall Street. Cette concentration de personnes et d’activité eût été impossible au XXè siècle sans l’érection des premiers gratte-ciel. Ceux-ci fixèrent la spécialisation du quartier et amorcèrent le mouvement de régénération perpétuelle si caractéristique de la ville.


p.173

Il se produira une volte-face de nos jours quand, dans un effort intelligent pour lutter contre la dégradation inéluctable de quartiers utilisés de façon si déséquilibrée et peu efficace, les autorités encourageront « la cité de vingt-quatre heures ». L’administration autorisera, par exemple, les gens à habiter les zones de commerces et d’industries. Le mouvement avait été amorcé spontanément par une population d’artistes et de bohèmes qui occupèrent de façon illégales les grands ateliers, les lofts, abandonnés lors de la récession des années 1970.
En 1977, la première tour à usage multiple se dressa Cinquième Avenue, l’Olympic Tower. Magasins au rez-de-chaussée, bureaux dans les étages intermédiaires et appartements au-dessus.


p.181

Précurseurs de ces « cités à l’intérieur de la cité », constituées grâce à l’utilisation intensive des galeries souterraines, gagner directement au sortir des transports en commun, ils étaient la preuve vivante que les New-Yorkais pouvaient et devaient vivre à la verticale comme à l’horizontale.


p.184

Cet ensemble porte le nom curieux de Tudor Village. "Tudor" parce que les douze immeubles — soit trois mille appartements et six cents chambres d’hôtel — ont adopté le style dit Tudor américain, caractérisé par des briques rouges, des façades ponctuées de vitraux, des arches gothiques et une décoration où le lion et la licorne moyenâgeux prédominent ; « village » parce que les bâtiments sont regroupés autour d’une rue privée, Tudor City Place, créée à cet effet et qui enjambe la 42è Rue. Avec son épicerie, son coiffeur, sa poste et sa pharmacie, elle remplit parfaitement son rôle de grande-rue. Le tout demeure aujourd’hui très surprenant. Qui imaginerait trouver au bout de la 42è Rue, la rue la plus bruyante, la plus trépidante de la ville, un petit parc presque désert, des allées silencieuses, des écureuils traversant la chaussée d’un pas lent serein, enfin une tranquillité provinciale ?


p.185

Hood regrettait cependant l’utilisation uniforme des gratte-ciel sous forme de bureaux. Il aurait voulu, à la place d’un seul immeuble, créer ce qu’il appelait des montagnes, qui chacune incorporerait une ville entière regroupant magasins, théâtres, cinémas et clubs, bureaux ou ateliers et appartements. Il ne lui fut pas donné de réaliser son rêve mais il eut l’occasion de participer à la conception du Rockfeller Center, qui en demeurera longtemps l’expression la plus proche.


p.193

Les voyageurs ne sont, après tout, point libres de choisir leur gares, alors qu’aucun impératif n’obligeait les passants à emprunter les galeries et les promenades du Rockfeller Center. Le succès du lieu fut aidé par des innovations heureuses et par le hasard des choses.
Une astuce architecturale, tout à fait nouvelle à l’époque, consista à installer, dans les grands halls d’entrée des gratte-ciel, des magasins à double entrée, l’une dans la rue, l’autre dans l’immeuble. La boutique fonctionnait comme un piège à clients et ceux-ci se retrouvaient, souvent sans l’avoir voulu, dans l’immeuble.


p.196

Cette permanence est un phénomène qui mérite réflexion. On a vu que New York s’est toujours construite et démolie à un rythme surprenant ; on a vu que les caractéristiques d’un quartier pouvaient se transformer en moins d’une génération. L’apparition des gratte-ciel n’entraîna pas une stabilité accrue, malgré l’énorme investissement risqué. Démolir un immeuble de quarante étages n’a jamais fait hésiter un promoteur new-yorkais. Dès que la rentabilité économique d’un immeuble semble faiblir, on l’abat. Si les loyers baissent, on rase.

p.198

Cet immense succès n’est pas dû à la taille des gratte-ciel. La taille n’a jamais été un élément de succès déterminant à New York. L’Empire State Building, par exemple, qui pendant des décennies a été le building le plus élevé du monde, n’a jamais qu’ajouté à l’encombrement du bloc sur lequel il s’élève, sans même que le passant, à moins de lever le nez, soit conscient de sa présence.
Or, New York est une ville de piétons, de contacts, de rencontres. Une ville où l’on sait mettre à profit les ressources des nouveaux venus, absorber les cultures étrabnères, et ce n’est pas un hasard si elle a été la première ville des Etats-Unis à reconnaître et à favoriser une forme de culture noire.

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  • Chapitre X : Harlem

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  • Chapitre XI : La Loi du Gang

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  • Chapitre XII : Le Refuge des Hommes Illustres


p.237

À partir des années trente, il devient impossible de considérer New York en faisant abstraction de l’Europe. La ville constitua, entre 1933 et 1941, le refuge le plus ardemment recherché des intellectuels persécutés par les dictatures fascistes.

p.250

New York devint pendant la guerre — et resta par la suite — la capitale mondiale de l’art, et cela dans ses manifestations les plus diverses car l’avant-garde ne régna pas sans rival.


p.255

La ville faisait peau neuve. Littéralement. La démolition des derniers métros aériens brisait une coque aux relents industriels du XIXè siècle et, rendant au soleil des avenues sacrifiées, ouvrait la ville au futur et à la beauté. Cette nouvelle New York, saisissante de lumière, d’effronterie, d’assurance en son propre talent, devenait la capitale du monde. L’adjectif le plus couramment employé pour caractériser la ville était « incroyable », observait à son retour de l’armée Alfred Kazin, un des écrivains américains les plus sensibles aux tressaillements de sa ville. Contemplant les longues avenues qui semblaient s’élancer à l’infini, il voyait New York « une formidable machine à vivre toute rayonnante de pouvoir ».

  • Chapitre XIII : New York au bout de ma Rue

 

p.259

Le goût de la liberté et de l’entreprise est indissociable d’une éducation américaine.


p.267

Le sport et le culte de la forme ont connu une expansion phénoménale.


p.273

On a dit qu’il y avait trois New York : celle du natif de Manhattan, qui lui donne sa continuité ; celle du banlieusard recraché tous les soirs aux frontières ; et celle de l’étranger venu en quête de succès ou de gloire et qui confère à la ville sa vivacité, sa passion et son éclat.
C’est pourquoi il est aisé de s’y intégrer. On n’abandonne jamais rien pour en faire partie ; point n’est besoin de se forcer pour se glisser dans un moule. Bien au contraire, c’est l’originalité, le talent et l’énergie, une sève bien souvent venue d’ailleurs, qui ouvrent les portes de la ville. On fois adopté on découvrira, tout surpris, qu’on est devenu sans le savoir un New Yorkais, un vrai.

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arthur gential diplome d'architetcure, un pont habité à new york